Introduction

Alien sort en 1979, deux ans après Star Wars, qui fut le premier film à mélanger les genres. Alien s’inspire de cette révolution et combine horreur et science-fiction.

Angle d’analyse

Lorsqu’on analyse un film, le but est de comprendre le message de l’auteur, c’est-à-dire sa vision de la meilleure manière de vivre dans une situation donnée. Chaque genre travaille un thème en particulier.

Horreur (genre)

Le genre de l’horreur explore le thème de la vie et de la mort. Il pose la question de comment échapper à la mort.

  • Littéralement, le héros doit fuir une mort violente et imminente.
  • Métaphoriquement, ce genre interroge la mort en général et notre rapport à celle-ci.


Chez l’être humain, il existe une volonté d’échapper et de transcender la mort. Philosophiquement, il existe plusieurs manières d’aborder ce sujet : la vie après la mort à travers la religion, la réincarnation, l’immortalité, la succession, la descendance, ou encore la postérité individuelle. On peut également considérer la société comme une entité qui survit à l’individu. C’est pourquoi, souvent, le monstre (comme le vampire ou le zombie) apparaît sous une forme immortelle.

On assiste ainsi à une dichotomie entre le bien et le mal, mettant en jeu un conflit entre soi et les autres. On ne philosophe pas ici sur l’amitié ou d’autres préoccupations humaines plus sophistiquées. Cette binarité se reflète dans la psychologie du personnage qui, confronté à la mort, fait souvent des choix très peu nuancés. En situation de pression extrême, les personnages révèlent leur psychologie la plus profonde : ils doivent décider s’ils sont prêts à survivre au prix de leur humanité.

Pour interroger les limites de l’humanité, on compare ce qui est humain à ce qui ne l’est pas. On confronte le héros à son côté animal ou à son aspect robotique L’humain déshumanisé par la machine ; l’automat) – une sorte d’évolution inversée ou de régression par rapport aux valeurs que nous considérons comme humaines.

Le cadre du film d’horreur consiste donc à montrer en quoi l’humain peut perdre son humanité lorsqu’il est testé dans des conditions extrêmes, l’obligeant à faire des choix binaires.

Structure narrative

Pour mieux comprendre le message et le thème du film, nous allons nous intéresser à la structure narrative et aux «beats» classiques, c’est-à-dire aux moments clés par lesquels le récit passe. Nous nous appuierons également sur la structure narrative propre au genre du film.

Les sept points structurels fondamentaux

1. Faiblesse et besoin

Le héros est emprisonné par des habitudes de pensée et d’action et souffre d’une profonde faiblesse personnelle qui dégrade la qualité de sa vie. Le héros doit dépasser cette faiblesse pour grandir. Son besoin est de comprendre ce qui ne va pas.Moment de l’Exposition

  • On découvre le protagoniste dans son quotidien.
  • Sa faiblesse l’empêche d’être heureux, créant ainsi un besoin de changement (au début, il n’en a pas conscience).
  • Le personnage agit en raison d’une fausse croyance.
  • C’est le début de son arc narratif (le conflit interne à résoudre lors de la catharsis).
  • On distingue deux types de faiblesses : morale (le personnage en souffre) et psychologique (les autres en souffrent).
  • Cela permet aux spectateurs de s’identifier au protagoniste.
2. Le désir

Le héros désire un objectif extérieur qu’il perçoit comme ayant de la valeur et qui lui manque dans sa vie.

Moment de l’apprentissage

  • L’élément déclencheur crée chez le protagoniste un désir tout en ciblant sa faiblesse.
  • Cet élément doit idéalement mettre au défi la faiblesse du héros et, au fil du film, lui faire prendre conscience de son besoin.
  • Le désir, cœur de l’intrigue, donne au spectateur l’envie de connaître la fin.
  • Il existe une opposition entre le désir et le besoin.
  • Le désir se complexifie et tend à se rapprocher du besoin vers le milieu du film.
  • Le protagoniste ne peut obtenir son désir tant qu’il se comporte comme au début (fausse croyance).
  • Lors du climax, il fait un choix moral déterminant s’il obtiendra ou renoncera à son désir – et par conséquent, s’il résoudra son besoin.
3. L’antagoniste

Le héros se confronte à un antagoniste ainsi qu’à un ou plusieurs obstacles qui l’empêchent d’atteindre son désir. Finalement, ce qui l’en empêche, c’est lui-même.

  • L’antagoniste crée le conflit et offre au héros la possibilité de changer.
  • Il doit être aussi complexe que le protagoniste.
  • Le protagoniste peut, en quelque sorte, être l’antagoniste de l’antagoniste.
  • Bien qu’ils aient le même désir, leur approche diffère.
  • Ils doivent être d’une force presque égale.
    L’atout de l’antagoniste sert à mettre en lumière la faiblesse du protagoniste.
4. Le plan

Le héros formule un plan ou une stratégie pour vaincre l’antagoniste et atteindre son désir.

  • Le plan représente les actions prévues pour obtenir son désir.
  • Il doit être clair pour le spectateur.
  • Le plan est voué à l’échec et doit être continuellement adapté en fonction des actions de l’antagoniste.
  • Il doit être créatif et surprenant.
5. La bataille

Le héros entre dans un dernier conflit avec l’antagoniste pour déterminer qui va l’emporter.

  • C’est l’ultime confrontation entre le protagoniste et l’antagoniste.
  • Les deux plans s’affrontent enfin.
  • La spatialité et la temporalité se réduisent (souvent à une seule scène) pour augmenter l’intensité dramatique.
  • L’issue reste incertaine.
  • Cette bataille permet de distinguer, une dernière fois, le protagoniste de l’antagoniste en montrant leurs valeurs en action.
6. La révélation personnelle

À la fin, si le héros évolue, il fait une révélation sur sa nature profonde et sur qui il est réellement.

  • Il comprend comment il s’est fourvoyé, tant sur le plan psychologique que moral.
  • Ce moment représente le climax, où il doit faire un choix moral entre son désir et son besoin – souvent en réalisant un sacrifice.
  • Idéalement, il choisit de satisfaire son besoin tout en obtenant son désir.
7. Nouvel équilibre

Le système mis en place au début se retrouve dans un nouvel équilibre.

  • Le héros a une nouvelle conception de lui-même et a acquis la capacité d’évoluer pour le futur.
  • Par contraste, on montre ce qu’il a gagné et appris (souvent dans le même environnement où il a été présenté au début).
  • Idéalement, ce nouvel équilibre profite à tous.

Sept points structurels habituels

Dans le genre de l’horreur, certains «beats» spécifiques se distinguent :

Le ghost
  • Il s’agit souvent d’un crime du passé qui vient hanter le personnage dans le présent.
  • Même si le héros n’a pas commis ce crime, il devra en payer le prix.
  • Cela devient particulièrement intéressant quand le héros porte une part de responsabilité.
Form
  • La force du passé qui s’exerce sur le présent.
  • Les crimes commis dans le passé et impunis se répercutent sur la génération suivante.
    Exemple : Les griffes de la nuit.
Le ghost sous forme de conscience

Le ghost peut prendre la forme d’une conscience qui s’attaque à elle-même, par la honte ou la culpabilité.

Story world : La maison hantée
  • Le film se situe dans une arène close et resserrée, une véritable maison hantée, ce qui met le personnage sous une grande pression, car il ne peut en sortir.
  • Thématiquement, cela permet de créer une microsociété qui interroge nos morales communes.
    Dans Alien, la «maison hantée» est le Nostromo.

Analyse 1 : horreur

Premier niveau d’analyse avec le genre de l’horreur : les 7 beats structurels 

  • Faiblesse et besoin : Il n’y en a pas.
  • Désir : Survivre face à l’alien.
  • Antagoniste : L’alien.
  • Le plan : Mettre l’alien dehors du vaisseau en le guidant vers l’airlock.
  • La bataille : Ripley se retrouve seule dans la navette de secours avec l’alien et doit l’affronter.
  • Révélation personnelle : Aucune, du fait de l’absence de faiblesse et de besoin.
  • Nouvel équilibre : Retour à la case départ, mais seule Ripley a survécu.


Les beats propres à l’horreur

  • Ghost : Pas vraiment, a priori.
  • Story world : Le Nostromo.
  • Caractérisation de Ripley :
    Le personnage de Ripley, qui s’avère être le personnage principal, ne semble ni présenter de faiblesse et besoin, ni être hanté par un ghost. Cela en fait un personnage assez simple, mais on peut noter sa caractérisation à travers les scènes suivantes :


6:30 – Scène du repas :
Les personnages sont présentés dans un contexte habituel pour donner un sentiment de réalisme. On remarque immédiatement les rapports sociaux et la hiérarchie entre eux. Ripley peu présente dans cette scène.

Comparaison avec Lambert :
Ripley est une héroïne féminine positive, ce qui était rare à l’époque où les personnages féminins étaient généralement assez inintéressants. Lambert incarne le cliché du personnage féminin, tandis que, par ses qualités, Ripley s’en détache. La première présentation de Lambert montre qu’elle se plaint d’avoir froid la catégorisant clairement comme personnage cliché.

Kane :
Premier personnage mis en avant à l’écran, supposé être notre protagoniste dans un premier temps, se sent déjà mort, signe annonciateur de son sort.

Parker et Brett :
Présentés comme des prolétaires (symbole du blue-collar, ils portent des chapeaux bleus) en pleine lutte sociale, ils se plaignent de ne pas être assez bien payés. Le capitaine Dallas les rappelle à l’ordre.

Observation sur Dallas :
Il est intéressant de noter que Dallas ne semble pas très compétent : c’est Ash, le droïde, qui doit le prévenir que Mother veut lui parler. Deux pistes sont possibles :

  • Soit la compagnie Weyland-Yutani place un droïde dans l’équipe pour surveiller les membres, faute de confiance,
  • Soit Ash a déjà parlé à Mother et s’attend à ce que cette dernière s’adresse à Dallas.


9:35 – Scène :
Les personnages cherchent à comprendre où ils se trouvent. Ripley est la première à réaliser qu’ils ne sont pas dans le bon système solaire. Elle apparaît plus maline que Lambert, pour qui cela relève de sa fonction, et Kane se moque de lui. On ressent une tension entre les différents niveaux hiérarchiques.

10:32 – Scène :
Brett et Parker, les «prolos», se plaignent d’être les seuls à travailler et que personne ne comprend ce qu’ils font. Ripley est la seule à venir les voir (scène à 19:55), ce qui souligne son écoute. Parker se moque d’elle en relâchant la pression des tuyaux lorsqu’elle parle. Le rapport entre Brett et Parker est également celui de la soumission, Brett ne faisant aucun choix et se remettant uniquement à Parker.

Conflits divers :
Des conflits émergent entre les individus et entre les classes sociales.

11:33 – Conflit entre Ripley et Lambert :
Un plan montre le conflit entre Ripley (derrière Lambert, mais c’est elle qui parle) et Lambert, ce qui l’agace.

31:41 – Décodage du signal :
Ripley décode le signal, qui est en réalité un avertissement. Courageuse, elle veut prévenir l’équipe. Ash lui indique qu’il est inutile de prévenir, car il est déjà trop tard, argument que Ripley accepte montrant chez elle une certaine naïveté.

36:30 – Protocole de quarantaine :
Ripley veut faire appliquer le protocole de quarantaine. Elle sait juger une situation et déterminer si les règles prévues doivent être appliquées. Ash laisse entrer l’équipe, car cela correspond à sa véritable mission.

1:08 – Compassion de Ripley :
Ripley, loin d’être naïve à ce stade du film, fait preuve de compassion lorsque Lambert demande si Brett peut être en vie. Sa première réaction est de dire qu’il est sûrement mort, puis, pour ne pas trop l’effrayer, elle relativise, démontrant ainsi son empathie.

1:15 – Prise de commandement :
Avec la mort de Dallas, Ripley devient la cheffe hiérarchique et prend sa place dans la hiérarchie. Elle est obligée de crier pour s’imposer.

1:18 – Prise de conscience :
Ripley comprend que la mission principale est de ramener l’alien et que la survie de l’équipage n’a pas d’importance aux yeux de la compagnie. Ce moment marque le point culminant de l’arc narratif de Ripley, où elle définit ses valeurs humaines. Elle se révolte en refusant cette vision, contrairement à Dallas qui, plus tôt (1:05), affirmait que « la procédure standard est de faire ce qu’on te dit de faire » (en parlant de la compagnie).

1:36 – Confrontation finale :
Ripley retrouve Dallas, qui lui demande de l’achever. Elle fait preuve de pitié, posant ainsi la question de ce qu’est l’humanité : doit-on aller jusqu’à tuer pour soulager la souffrance ?

Analyse 2 : science-fiction

Pour ce niveau, il faut s’intéresser au deuxième genre et à ce qu’il apporte : la science-fiction, qui s’interroge non pas sur l’individu mais sur la structure sociale. On y explore le symbolisme.

La science-fiction met en lumière l’élément manquant chez Ripley dans la représentation sociétale. Le message de l’auteur se trouve probablement dans ce niveau d’analyse.

Métaphore de la société
  • Les rapports sociaux présentés dans le film sont essentiels. La plus petite structure sociale est la famille, il n’est donc pas anodin que le vaisseau s’appelle Muther (prononcé « Mother »), évoquant la mère.
  • La scène de présentation des personnages peut symboliquement rappeler des enfants sortant d’une couveuse : ils sont nus, à l’exception de ce qui ressemble à une couche-culotte (5:40).


Les règles sociétales présentées sont celles d’une société ultra-capitaliste dirigée par des entreprises privées à l’image de Weyland-Yutani. Cela se reflète dès la première présentation des personnages, décrits comme une équipe de travail (Crew, 2:15) – une fonction plutôt qu’une individualité. Ils sont déshumanisés et leur seul objectif est de générer des bénéfices.

Cette idée de société déshumanisée est renforcée symboliquement. La première interaction se produit lorsque Mutherannonce avoir trouvé un signal, et ce message se reflète sur une tenue d’astronaute vide (4:14). Le gros plan sur cette tenue semble suggérer que les humains sont devenus de simples coquilles technologiques vides. Ensuite, l’intérieur du vaisseau, accompagné d’un son rappelant un battement de cœur, humanise Muther et nous invite à explorer ses entrailles mécaniques (2:53), en contraste avec le vaisseau extraterrestre qui apparaît comme organique (27:50).

Nous avons vu que le symbole de l’homme mécanisé représente une perte d’humanité, un thème fortement travaillé dans les films d’horreur. On note également qu’Ash (le droïde) incarne, parmi les humains, les intérêts de la société Weyland-Yutani. Il semble là pour surveiller l’équipage et s’assurer que le côté humain ne prenne pas le dessus – comme le montre la scène où Ripley finit par se révolter en affirmant ses valeurs humaines. À l’inverse, le capitaine Dallas, qui suit aveuglément ce que la société attend de lui et marche au pas (8:12), symbolise ces valeurs imposées. Le fait que le vaisseau s’appelle Nostromo (signifiant « notre homme ») souligne qu’il a été choisi par la compagnie car il se plie à leurs exigences.

Le Ghost dans ce contexte

Le Ghost, beat essentiel habituellement présent, semble ici absent chez Ripley. En général, il s’agit d’un crime du passé qui revient hanter le héros. Ici, le crime consiste à accepter de vivre dans une société déshumanisée où seul le profit compte et où l’on n’hésite pas à tuer pour ce profit.

  • L’alien incarne parfaitement ce Ghost : une machine à tuer qui utilise ses victimes pour se reproduire.
  • Il représente l’individu parfait dans une société capitaliste, dépourvu de valeurs humaines telles que la morale ou l’empathie (ce que remarque et admir Ash à 1:24).
  • Il n’utilise l’autre qu’à des fins de reproduction.

Le tabou dans le film

Le premier tabou est celui de la sexualité non consentie.

  • Le film est truffé d’allusions à la sexualité. Presque tous les décors créés par Giger y font référence
  • Chaque fois que l’alien tue quelqu’un, on peut y percevoir une forme d’agression sexuelle.
    - Sa première victime, Kane, se fait violer oralement, ce qui mène à sa mort.
    - Ash se réfère à l’alien comme le «fils de Kane» en gros plan pour bien souligner l’importance de cette phrase (1:09).


La sexualité, qui est l’une des bases fondamentales des rapports humains servant à créer des liens et à perpétuer la société, est ici détournée. Une valeur humaine fondamentale, censée être consensuelle et positive, est présentée sous l’angle d’une société déshumanisée qui n’utilise l’autre qu’à des fins de profit, et est même assimilée à un viol. Pire encore, il existe un mélange entre cannibalisme et sexualité, puisque l’alien se nourrit littéralement de ses victimes. Ce thème est évoqué par Parker dans la scène du repas ou il dit vouloir manger autre chose en regardant Lambert qui semble gênée mais qui fait rigoler la galerie. (55 :59).

Pour comprendre le deuxième tabou, il faut comparer la figure de la mère (Muther) à celle du père.

  • La planète où est repéré le signal de détresse, qui ressemble à Saturne (14:40), évoque la mythologie grecque : Saturne, dieu du cosmos, est aussi le père qui dévore ses enfants pour s’assurer qu’ils ne prennent pas sa place.
  • Ce symbole est tout à fait approprié à la société dépeinte dans le film.
  • Mother n’hésite pas à sacrifier ses propres enfants (l’équipe) pour son profit, incarnant ainsi le tabou de l’infanticide, qui empêche la société de se perpétuer.
  • L’alien apparaît comme l’enfant issu d’une rencontre entre un père et une mère prêts à commettre un infanticide.
  • Il s’introduit dans Mother et, tel un coucou, se débarrasse des autres enfants, incarnant les valeurs d’une société ultraviolente et dysfonctionnelle.
  • Il se bat avec les autres enfants pour imposer ses valeurs.
  • Ripley, étant la seule à affirmer des valeurs humaines fortes, est la seule à survivre et à se débarrasser de l’alien.


Ce qui nous amène au titre du film : Alien. En anglais, ce terme peut être interprété comme « l’étranger ». Mais dans cette société dysfonctionnelle où les rapports humains sont corrompus, déshumanisés par un égoïsme pur, considérer l’autre comme un étranger revient à devenir tout autre individu. Le message de l’auteur semble être un avertissement : il faut faire attention à ne pas considérer l’autre comme un étranger, au risque de finir dans la société décrite.