Introduction
Angle d'analyse:
Matrix est un film complexe avec une multitude de niveaux de lecture, révolutionnaire à bien des égards pour son époque. Dans cette analyse, nous choisirons une approche scénaristique en nous intéressant aux outils utilisés par les auteures pour construire l’histoire et transmettre leur message.
Contexte théorique
En s'appuyant sur des concepts théoriques issus de la dramaturgie et de l’analyse scénaristique, nous décortiquerons la structure narrative et les thèmes abordés dans Matrix. Ce film de science-fiction cyberpunk offre une métaphore puissante de la condition humaine à travers l'idée d'une réalité virtuelle manipulée par des machines. En le comparant à la «Matrice», nous essayerons, comme Néo, de traverser le miroir pour comprendre la construction du film.
Outils d'analyse scénaristique
1. Structure narrative
Selon McKee, la structure narrative est un ensemble d'événements choisis dans la vie des personnages, organisés stratégiquement pour susciter des émotions spécifiques et véhiculer une vision particulière de la vie. Le choix des événements permet de faire avancer le protagoniste tout en offrant une expérience émotionnelle unique au spectateur.
Cette structure produit un double effet :
- Nouveauté : le spectateur découvre quelque chose de nouveau, fruit de la créativité des auteurs.
- Familiarité : il suit un chemin narratif qu'il reconnaît instinctivement, car la structure narrative repose sur des archétypes universels.
Dans Matrix, la structure narrative est cruciale pour révéler les choix faits par les auteurs et les thèmes qu'ils souhaitent aborder.
2. Arc narratif et intrigue
L’arc narratif suit l’évolution des valeurs des personnages du début à la fin de l’histoire. Dans le cas de Matrix, l’arc narratif de Néo est celui du philosophe, un cheminement qui l’amène à questionner la réalité, la vérité et la nature de l’humanité.
L’intrigue se compose des événements externes qui confrontent les personnages et les forcent à remettre en question leurs croyances et leurs valeurs. Pour Néo, l’intrigue se matérialise par la quête de savoir s'il est l'Élu et sa mission de libérer l’humanité de la Matrice.
Thème et genre
Le thème de Matrix est intrinsèquement lié à son genre, la science-fiction. Ce genre permet de traiter des systèmes sociaux, politiques et philosophiques en imaginant des réalités alternatives et en exagérant certaines caractéristiques du monde contemporain.
En créant une société dominée par les machines, Matrix pose la question de ce qui différencie les humains des machines, et donc, de ce qu'est véritablement l’humanité. Le film invite le spectateur à réfléchir sur la condition humaine et à redéfinir la notion de liberté.
Message des auteures
Le parcours de Néo dans Matrix peut être vu comme une métaphore du chemin que chaque spectateur est invité à emprunter. Matrix est un film hautement philosophique qui, tout en appartenant à l'art mainstream, pousse ses spectateurs à se poser des questions existentielles.
L'analyse du film suivra la structure d’une dissertation, en explorant la thèse, l'antithèse, et la synthèse. Les personnages eux-mêmes représentent ces différents aspects du message des auteures.
Analyse des points structuraux majeurs
L’analyse de Matrix reposera sur les éléments structuraux clés inspirés par John Truby, notamment détaillés dans son ouvrage «L'Anatomie du scénario» :
1. Faiblesse et besoin (Weakness/Need) – Moment de l'exposition
- Présentation du protagoniste dans son quotidien : On découvre le héros dans son monde habituel. Sa faiblesse l’empêche de connaître le bonheur, créant ainsi un besoin de changement, bien que le personnage n’en soit pas encore conscient.
- Fausse croyance : Le protagoniste agit sur la base d'une croyance erronée, ce qui amorce son arc narratif (conflit interne) qu’il devra résoudre au moment de la catharsis.
- Deux types de faiblesses : Morale : Le protagoniste souffre de cette faiblesse. Psychologique : Ceux qui l'entourent souffrent de cette faiblesse.
Dans Matrix :
- Quotidien : Jusqu'à 32 minutes du film, Néo est employé de jour et hackeur de nuit.
- Faiblesse : Néo souffre d’un doute profond sur lui-même.
- Besoin : Croire en ses capacités.
- Fausse croyance : Néo et Thomas Anderson peuvent coexister.
- Besoin psychologique : Accepter la responsabilité d'être l'Élu pour aider ceux qui croient en lui.
- Besoin moral : Se sacrifier pour sauver les autres, accepter sa destinée et sa vraie nature.
Arc narratif : Le cheminement de Néo est celui d’un philosophe.
2. Le désir – Moment de l’apprentissage
- Élément déclencheur : Il crée chez le protagoniste un désir clair tout en attaquant sa faiblesse. Cet événement guide l’intrigue et renforce l'intérêt du spectateur.
- Opposition désir/besoin : L’intrigue progresse à travers la lutte entre le désir et le besoin du protagoniste. Le désir se complexifie au fil de l’histoire, poussant le héros à faire face à ses fausses croyances.
- Climax : Le héros fait un choix moral qui déterminera s’il obtient ou renonce à son désir et, par là même, à son besoin.
Dans Matrix :
- Néo veut savoir s'il est l'Élu pour libérer l'humanité de la Matrice.
3. L’antagoniste
- Rôle central du conflit : L'antagoniste offre l'opportunité au protagoniste de changer. Il doit être aussi complexe que le protagoniste et posséder des objectifs similaires, bien qu’opposés dans leur réalisation.
- Égalité de forces : L’antagoniste doit être presque aussi fort que le protagoniste, accentuant le défi à surmonter.
Dans Matrix :
- Antagoniste : L'agent Smith, qui hait l'humanité, a pour objectif de se libérer de la Matrice, tout comme Néo, mais avec des motivations contraires. Néo et Smith partagent une égalité de forces : Néo ne peut pas tuer Smith, représentant un aspect de son «ombre» refoulée (concept jungien).
4. Le plan
- Plan du protagoniste : Il s'agit des actions que le protagoniste prévoit pour obtenir son désir. Ce plan doit être clair et identifiable pour le spectateur, mais semé d’embûches et en constante évolution en fonction des stratégies de l’antagoniste.
Dans Matrix :
- Plan de Néo et son équipe : Fuir les machines le temps que Néo maîtrise ses pouvoirs.
- Plan des agents : Obtenir l'emplacement de Zion pour détruire la dernière ville humaine et mettre fin à la résistance.
5. La bataille
- Confrontation finale : C'est l'aboutissement des deux plans du protagoniste et de l'antagoniste. La temporalité et la localité se réduisent pour maximiser l’intensité dramatique.
- Incertitude : L'issue de la bataille doit rester incertaine jusqu’au dénouement.
Dans Matrix :
- Néo affronte Smith dans le métro, affirmant son identité en cessant de fuir. Il accepte enfin qu’il est Néo, et non plus Thomas Anderson.
6. La révélation personnelle
- Climax : Le protagoniste réalise ce qu’il a mal interprété tout au long du film. C'est un choix moral, souvent entre son désir et son besoin. L'idéal étant qu'il choisisse son besoin tout en obtenant son désir.
Dans Matrix :
- Néo se sacrifie et ressuscite grâce à l’amour, la valeur humaine ultime. Cette résurrection lui permet d’accepter pleinement qui il est et de fusionner avec Smith, symbolisant l’intégration de son «ombre» et l’acceptation totale de sa nature.
7. Nouvel équilibre
- Retour à la normale : Ce moment montre, souvent dans le même environnement qu'au début, ce que le héros a appris et gagné. Idéalement, tout le monde en profite.
Dans Matrix :
- Néo devient l'Élu et propose aux machines une alternative à la guerre : la paix. Il les avertit qu’il libérera l’humanité grâce à son pouvoir.
Arc narratif du philosophe (Néo)
1) Rêve : Mensonge initial (la Matrice).
2) Destruction des croyances : Sortie de la Matrice.
3) Reconstruction : Compréhension des nouvelles règles.
Conclusion
Matrix est une réinvention du mythe de la caverne, où la vérité est non pas belle mais effrayante. Le film soulève la question : voulons-nous vraiment voir la réalité, même si elle est déplaisante ? Le parcours de Néo est une invitation pour chaque spectateur à sortir de sa propre «Matrice», à accepter ses vérités intérieures et à embrasser la responsabilité de ses choix.